Le billet de Djamila Kaoues
Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Force est de constater que la voie que nous avons empruntée jusqu’à aujourd’hui est sans issue. Cette situation dramatique révèle plusieurs phénomènes imbriqués, d’inégale gravité. On ne saurait, si l’on prétend souscrire à des valeurs élevées, de portée universelle, demeurer indifférents face à la situation des migrants (qui se révèlent fort utiles aujourd’hui quand il est question de participer à des récoltes que nos concitoyens confinés ne font plus) et ne pas nous interroger sur les raisons de leur déracinement, car de fait, nous sommes de plus en plus confrontés au phénomène des réfugiés climatiques. Ces migrants qui ont transformé la Méditerranée en cimetière sont l’illustration la plus tragique de l’accroissement spectaculaire des inégalités à l’échelle mondiale. Si nous voulons donner un sens à la catastrophe que nous traversons actuellement, avec son bilan chaque jour plus élevé de victimes, analysons, alors, ses ressorts les plus fondamentaux.
Que cela soit l’occasion de réfléchir aux sources des maladies zoonotiques, à l’usage littéralement contre-nature qui est fait de certaines espèces animales, notamment forestières, qui ne sauraient constituer une source pour l’alimentation humaine, fût-ce à titre de mets exotiques. Que cette tragédie soit l’occasion de contrer les inégalités qui s’accroissent partout dans le monde, de penser les bases d’une véritable sécurité alimentaire et les ressorts profonds des épidémies auxquelles nous sommes confrontés. On ne saurait, désormais, penser la modernité sans l’écologie et prétendre minimiser les conséquences plus que délétères du réchauffement climatique. Dès lors, on saisit que l’affaiblissement continu du système immunitaire chez les plus faibles parmi nous, qui prédisposent à diverses maladies et à des décès prématurés, est en lien étroit avec la pollution atmosphérique. Et à tous les climato-sceptiques qui s’acharnent à nier l’évidence, rappelons que le déboisement commence par l’abattage des arbres et aboutit à celui de nos barrières sanitaires.
Au fil de ces trois semaines de repli contraint, j’ai lu çà et là des témoignages au ton acide provenant de Gaza, où le désespoir le dispute à l’amertume, leurs auteurs rappelant que le confinement dont certains d’entre nous se plaignent à grand bruit sur les réseaux sociaux, constitue leur quotidien depuis…12 ans. Dans des conditions autrement plus désespérantes, oserai-je ajouter. J’ai parcouru, également, des articles tout autant déprimants, relatant le quotidien d’individus, souvent en Afrique et en Asie, subissant le confinement et les préconisations associées -de distanciation et de lavage de mains soigneux-, qui, pour le coup sonnent tragiquement -ou ridiculement- chez des personnes qui vivent à 10 dans une même pièce, sans eau ni savon et parfois sans électricité. Il ne s’agit pas de brandir ces exemples tragiques pour prétendre faire apparaître notre sort, comme enviable, par comparaison. Là n’est pas mon propos. Il s’agit plutôt d’affirmer, par ces exemples pris aux quatre coins du monde, que nos destins sont étroitement liés, pour le meilleur et le pire.
Le mieux alors, serait de penser cette communauté de destins en termes de solidarité, non ? Repenser le monde en mode écolo, dans le respect de la Terre et de la biodiversité, prendre conscience de la magnificence de la nature et s’engager à la préserver, à la hauteur de nos moyens, cela est à la portée de chacun d’entre nous. À chaque saison qui s’annonce, l’arbre joue une part essentielle dans le cycle de la nature, nourrissant les sols, alimenté par eux. Avec le coronavirus, on se surprend à craindre l’essoufflement, signe clinique indéniable d’une aggravation de la maladie. C’est là l’occasion de rappeler que de préserver l’oxygène, synonyme de vie, exige de s’extraire de la domination des pesticides pour préserver notre biodiversité. Enfant, on s’est tous un jour extasié du battement d’ailes d’un papillon, de l’envolée d’une coccinelle, de la délicate beauté d’un coquelicot et, le plus souvent par écran de télévision interposé, du spectacle édifiant d’animaux sauvages demeurés dans leurs lieux de vie naturels. Il n’est pas trop tard pour nous reconnecter avec nos sentiments d’alors, et de prendre le parti de sauvegarder ce qui peut l’être encore, en participant, pour ce faire, à des actions en défense des intérêts de l’agriculture et des agriculteurs. Se passer des pesticides, c’est retrouver le goût des saveurs d’antan dans nos assiettes, c’est permettre à chacun de part le monde, où qu’il se trouve, d’apprécier les parfums et goûts authentiques d’un fruit ou d’un légume, non altérés par quelque additif chimique. On se saurait participer à ce renouveau nécessaire sans modifier certaines de nos habitudes : consommation débridée, tourisme effréné etc. Nous avons tous notre part à prendre, à des degrés divers, dans cette fondation d’un monde nouveau, pour un enrichissement mutuel, contre les inégalités multiformes dans divers domaines : l’éducation, le logement, l’accès à l’eau, à la nourriture et aux droits humains fondamentaux. Il suffit pour cela de repenser ses manières de consommer et d’être-au- monde, et concrètement, de s’impliquer dans une ou diverses associations, comme une manière de s’intégrer à une grande chaîne de solidarité humaine. En somme, être acteur de cette transition écologique et œuvrer pour un monde plus juste, plus vert, plus solidaire, plus résilient et respectueux du vivant dans son ensemble, cela revient ni plus ni moins à se reconnecter avec son moi profond, dans la mesure où chacun d’entre nous constitue, en définitive, un maillon de la grande chaîne de la vie.
Djamila KAOUE