Une réflexion sur le confinement et les femmes battues nous a fort intéressé.
Depuis plus d’une semaine, notre gouvernement a mis en place un confinement presque généralisé dans notre pays. Tous ceux qui sont en possibilité de le faire sont tenus de demeurer à domicile, les commerces à l’exception de ceux dédiés à l’alimentation et quelques rares entreprises, ferment, ainsi que les écoles, collèges, lycées et universités. Pour la plupart d’entre nous, c’est une expérience inédite, assez sidérante, qui nous oblige à mettre un frein, du jour au lendemain, à notre train-train quotidien. Dans les réseaux sociaux, les commentaires, souvent à tonalité humoristique, se multiplient. Des messages, images et vidéos souvent hilarants illustrent, en les grossissant à dessein, les agacements, frustrations et chamailleries inévitables que suscite le fait de se trouver confiné malgré soi et presque de façon continue, avec un ou des proches. Les querelles pour les programmes tv ou le menu du jour, les galères du télétravail avec des enfants en bas âge pour qui ce concept est pour le moins obscur, les ados qu’on voudrait mettre au travail et qui s’obstinent à ne rien faire ou en faire le moins possible, le conjoint dont on doit supporter les petites manies. Autant de situations à priori anodines mais auxquelles la cohabitation permanente donne un caractère particulièrement pénible, du genre à se faire des cheveux blancs avant l’heure. Un regard superficiel sur ces écrits ou vidéos parodiques pourrait laisser croire que cette manière de réagir pèche par une certaine légèreté, voire, si l’on est plus sévère, par son caractère déplacé, si l’on se rappelle que ce confinement est destiné à sauver des vies, pour que chacun d’entre nous ne vienne pas rejoindre la cohorte des malades ou des décédés. A bien y réfléchir, il me semble que, tout au contraire, l’humour parodique fonctionne ici comme un exutoire commode, pour évacuer la charge émotionnelle que ces évènements dramatiques charrient inévitablement. Un autre aspect marquant de ce confinement tient dans la réaction outrée de milliers de gens face à l’imprudence ou l’inconséquence de ceux qui bravent l’interdit, participent à des rassemblements non autorisés et ne respectent pas les règles du confinement, au mépris de leur santé et de celles des autres. C’est ainsi que le message rester chez vous! fait florès, promu hashtag, il est brandi comme un slogan, répercuté de tweet en tweet, d’un compte Facebook à un autre, relayé de façon pathétique aussi par des appels de médecins ou d’infirmier-e-s qui évoquent l’extrême difficulté de leur mission et la nécessité pour chacun d’entre nous de les y aider, en respectant strictement la règle du confinement. Alors….Restez chez vous! c’est le cri qui jaillit, de toutes parts! Je souscris à cet appel, ô combien ! Comment pourrait il en être autrement? Restez chez vous, restons chez nous, reste chez toi et on l’aura à l’usure, ce foutu virus.


Soit. Mais là, encore, je le sais, je compte parmi les privilégiés -privilège relatif mais privilège quand même ! Ok, je reste chez moi. Je partage un grand appartement avec mon fils, ce n’est pas un calvaire. Pourtant, même si je me reconnais -un peu- dans les caricatures publiées ici et là, un malaise profond m’habite lorsque le sujet du confinement est évoqué, et il l’est constamment en ce moment, évidemment. En effet, je songe à ceux pour qui être confinés signifie bien autre chose que ces petits agacements du quotidien. Ceux pour qui cohabiter revient à partager 20 m2 à 3 voire plus. Ceux et celles, surtout, qui craignent bien davantage celui qui partage leur confinement que le virus lui-même. Et qui, comble du désarroi, savent ne pas pouvoir compter aussi aisément, en cas de nécessité, sur les secours, comme cela est le cas en temps normal (et encore, avec les dysfonctionnements que l’on sait !). Ainsi, au hasard de mes lectures sur Twitter, je suis tombée il y a quelque temps sur un message pathétique, que l’auteure a adressé à ses abonnés, mais aussi à des responsables politiques, à commencer par la secrétaire d’Etat en charge de l’égalité entre les hommes et les femmes, Marlène Schiappa. La jeune femme à l’origine du tweet évoquait le cas d’une femme dont les cris de terreur remplissaient la cage d’escalier. Un cas d’autant plus pathétique que le couple concerné, dont la femme était battue par son compagnon, vivait là avec ses enfants, spectateurs impuissants du drame.

Cette évocation me permet de mettre des mots sur le malaise que je ressens à la lecture des journaux de confinement, écrits par des personnalités qui font état de leur états d’âmes et étalent avec une grandiloquence qui frise le ridicule, les perturbations que le confinement a généré dans leur existence bourgeoise, empêchés d’aller au théâtre ou d’assister à des réceptions, diantre! Heureusement, il leur reste, à ces malheureux, le style et une plume acérée. Plus sérieusement, pour la plupart d’entre nous, Français de classe moyenne, le confinement, pour pénible qu’il puisse être parfois, est une expérience qu’il nous est possible de rendre largement supportable. Aussi, je songe aux femmes victimes d’un compagnon violent. Hier, elles faisaient encore la une des médias avec le mouvement Mee Too et devraient être oubliées du jour au lendemain? Comme si leur cause, brandie comme prioritaire il y a peu, devait subitement être éclipsée par l’actualité d’un virus. Je songe donc à elles dont je n’ose imaginer le calvaire et les angoisses, dans la situation de confinement avec leur bourreau. Je songe aussi à ceux pour qui, du fait de leur très jeune âge, la notion de confinement n’est certes pas aisée à saisir. Surtout lorsque leur quotidien n’est pas des plus sécurisants et que l’école représente un refuge contre leur propre famille. Je le sais, ils existent, j’en ai beaucoup (trop) connus en tant que prof.

Quid des femmes battues, alors, des enfants maltraités ? Ces sujets, que la triste actualité du virus me permet de rappeler, ne sont évidemment pas nouveaux. Mais ils revêtent une gravité particulière qu’il convient de ne pas omettre, sous couvert de confinement. Et quid des sans domiciles fixes, qu’on a vus, pour certains, interpellés par la police pour non-respect du confinement ? Quand l’ironie le dispute au grotesque !

Il nous aura fallu la crise des gilets jaunes pour prendre conscience de la galère que vivent au quotidien certains de nos concitoyens, brisés par la précarité. Alors oui, rappelons le, les SDF sont dans une prison à ciel ouvert, les femmes victimes de violences sont sans doute plus en sécurité dehors que chez elles, certains de nos petits voisins ou élèves rêvent d’école plus que de vacances, pour un temps de répit.

Ces faits invitent à considérer la notion de confinement d’un oeil nouveau, n’estil pas vrai?

Djamila KAOUES

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